Recréation française du Concerto pour piano de Schnittke

Concert du 15 juin 2015  à la Cathédrale Sainte-Croix des Arméniens

Dmitri CHOSTAKOVITCH (1906-1975) 

Quintette avec piano op. 57 en sol mineur (1940)

Julien HANCK piano
Magdalena SYPNIEWSKI violon 1
Lina HOUMMI violon 2
Emmanuel ENCINAS alto
Liam MORRISSEY violoncelle


Gabriel FAURÉ /  Franz LISZT /  Léo DELIBES  / Charles GOUNOD / W. A. MOZART/  Franz SCHUBERT

Missa Deconcertans pour chœur, piano et octuor à cordes

Sophie-Charlotte MABIT soprano
Jean-Éloi FRANZKOWIAK piano


Alfred SCHNITTKE (1934-1998)
Concerto pour piano et cordes Op. 136 (1979)

Julien HANCK piano


Anton ARENSKY (1861-1906)
Variations sur un thème de Tchaïkovsky OP.35 a pour orchestre à cordes


Orchestre Les Déconcertants
Pierre-Alexis TOUZEAU direction


Note de Programme

Exploration multidimensionnelle du son dans sa qualité vibratoire, paradigme de la musique contemporaine encore au XXIème siècle, le concerto pour piano et orchestre à cordes d’Alfred Schnittke est un sommet du postmodernisme russe. Dans cette œuvre souvent méditative, qui sait néanmoins se montrer puissamment corrosive, Schnittke va délaisser complètement l’esthétique foraine. apparaissant par exemple dans ses Concertos Grosso ou dans certaines de ses suites pour Orchestre. Chaos et dénaturation : Schnittke choisit dans ce concerto de faire alterner un postmodernisme nihiliste avec des instants de spiritualité pure.

À l’image de ‘Seid nuchtern und wachet’ pour contreténor, contralto, ténor, basse et orchestre ( Faustus Cantata ), le concerto pour piano est de ces œuvres rebelles, aussi saisissantes que dérangeantes, de ces œuvres qui posent des questions méta-musicales.


Les compositeurs russes de la seconde moitié du XXe siècle ont fait l’économie de l’impasse dans laquelle tant de musiciens occidentaux sont restés confinés, sous le chaperonnage intransigeant de quelques respectables duègnes de la « seule et vraie » musique moderne : Adorno, Leibowitz, Boulez. Aussi, Schnittke reprochait-il au dodécaphonisme d’offrir une solution « mécanique », manquant furieusement de dimension esthétique. Au point qu’il en vint à déclarer :

« Le train sériel dans lequel j’étais monté m’a vite paru trop encombré, et condamné par ses rails à toujours faire le même trajet. Je décidai alors de descendre à la prochaine station et de continuer mon propre chemin à pied. »

Mais les mandarins de la musique contemporaine ne lui pardonneront pas son manque de dévotion sérielle : l’accès aux concerts des organisations de musique contemporaine dominant la vie musicale parisienne (Domaine musical, IRCAM, Ensemble intercontemporain) lui sera systématiquement refusé. Hormis la timide excursion de Radio France avec Armengaud au début des années 1990, l’œuvre de Schnittke n’a presque jamais été jouée en France et outre quelques mélomanes isolés, plus personne en France ne connaît l’œuvre de Schnittke.

L’ensemble Les Déconcertants entreprend, quant à lui, de corriger ce cruel manque de discernement en proposant, pour la première fois depuis très longtemps en France, l’interprétation du fameux Concerto pour piano et cordes de Schnittke, composé en 1979.

Un concerto construit comme une dramaturgie. Dans un contexte qui apparaît de prime abord très dépouillé, ou le piano entame une lente procession qui va le conduire vers les graves, l’auditeur est d’abord confronté à ce qui ressemble avant tout à un drame psychologique. Les cordes arriveront, hémorragiques, d’abord dispersées, pour peu à peu guider cette procession. D’une descente implacable aux enfers, rythmée par les dissonances, va émerger le premier tutti, construit autour de grands accords de do mineur. Serait-ce l’ordre rétabli ? Pas pour longtemps, des clusters du piano viennent les déconstruire aussitôt, dans une énergie qui respire le désespoir. Un long passage de doute sur lequel règne l’ambiguïté, aussi bien harmonique que rythmique, vient y succéder. Deux tentatives avortées du pianiste d’en sortir, retombent sans succès dans une plainte qui ressemble étrangement à une lamentation. La troisième tentative est la bonne, dans un accelerando proprement diabolique, le pianiste sème une volée de notes qui resitue momentanément l’orchestre dans les rouages d’une machine : des mouvements saccadés et volontairement déphasés créent un continuum rythmique sur lequel le piano vient placer des arpèges qui lui font monter et descendre toute l’étendue du clavier. L’orchestre s’interrompt soudainement pour laisser libre cours à une courte improvisation jazz, dialogue serré entre le pianiste et le contrebassiste. Les épisodes vont ainsi se succéder, plus terrifiants, plus acerbes les uns que les autres. L’œuvre s’achève autour de pianissimi, le son s’évanouit autour d’une évocation lointaine des thèmes principaux de l’œuvre.

Julien Hanck